La Déesse Astarté dans le Monde Méditerranéen... 4/5

Le sujet étudié ici porte sur un espace étendu, aussi bien du point de vue chronologique que géographique. En effet, le culte de cette Déesse phénicienne s’étend sur tout le bassin méditerranéen, sur une période d’environ deux millénaires. Ainsi, cette étude permet non seulement d’établir le portrait d’une divinité aux multiples facettes, mais aussi de s’intéresser aux nombreuses civilisations où elle fut vénérée, et de comprendre comment et pourquoi elle a pu s’y implanter grâce à des affinités religieuses ou politiques… En effet, il ne s’agit pas de faire le portrait statique d’une divinité, mais d’insérer cette étude dans un contexte plus large en s’attachant à découvrir, à travers Astarté, le monde méditerranéen dans sa globalité et d’étudier comment fonctionne l’un des éléments majeurs du monde antique : le rapport au divin.

Les sources dont nous disposons sont principalement de nature archéologique : statuettes, objets divers, plans de temples, stèles ou fragments de stèles, inscriptions… Elles proviennent de régions diverses du bassin méditerranéen, allant de Phénicie jusqu’en Espagne, et s’étendent du XVe siècle avant J.C. au IIe siècle de notre ère. Les éléments qui constituent ce corpus ont été collectés dans des ouvrages de types variés. Ils sont extraits en grande majorité d’articles de revues telles que les Mélanges de l’université de Saint-Joseph de Beyrouth, Syria, Semitica, mais aussi de catalogues d’expositions, de guides de musées, ou encore de monographies. Nous pouvons ajouter à cette liste un texte d’Hérodote, extrait de son ouvrage intitulé Histoire, I, 199, dans lequel l’auteur donne sa vision de la prostitution sacrée.

Cette étude sur la Déesse Astarté et sur ses multiples formes s’inscrit dans un contexte particulier propre à l’Antiquité : celui du polythéisme. C’est dans ce cadre que notre recherche prend tout son sens. Replaçons-nous quelques millénaires en arrière. Il existe un foisonnement de divinités aussi bien féminines que masculines. Chacune d’entre elles détient une ou plusieurs attributions, telles la protection des soldats, la fécondité, et bien d’autres encore. Les païens rendent un culte à ces Dieux et Déesses pour s’assurer leur protection et peuvent vénérer plusieurs divinités puisque chacune d’entre elles ne recouvre qu’une partie de leurs besoins. Les religions païennes ne sont donc pas des religions exclusives où les fidèles ne doivent vénérer qu’un seul dieu. De plus, elles constituent un cadre très ouvert. En effet, les différents panthéons ne sont pas fixes et acceptent l’intégration de divinités étrangères. En outre, un phénomène d’assimilation peut se produire entre divinités de panthéons différents, ce que nous verrons plus loin avec Astarté qui s’assimile à d’autres Déesses.

Le cadre religieux de l’Antiquité qu’est le polythéisme est donc un facteur fondamental à connaître avant de s’engager dans l’étude d’une divinité comme Astarté, ou comme toute autre divinité de cette époque, afin de comprendre le sens de ses fonctions, de ses rites et de son culte, mais aussi de sa présence dans tout le bassin méditerranéen sous des formes parfois éloignées de la configuration initiale provenant de Phénicie.

Toutefois, connaître le cadre religieux n’est pas suffisant. En effet, la présence d’Astarté dans tout le bassin méditerranéen s’inscrit dans un contexte historique bien particulier : celui de la propagation des Phéniciens en Méditerranée qu’il convient de retracer. Le facteur géographique n’est donc pas non plus à négliger si l’on veut tenter de réaliser un portrait de notre divinité. Par conséquent, notre problématique présente nécessairement une double dynamique : Tout d’abord, il est nécessaire de tracer un parallèle entre l’expansion des Phéniciens dans le monde méditerranéen et la propagation du culte d’Astarté dans ce même milieu, en décrivant le chemin parcouru par ce peuple durant plusieurs siècles.

Dans un second temps, il faut garder à l’esprit, lors de l’étude d’Astarté dans les pays étrangers, que son culte est le résultat d’un syncrétisme entre le culte phénicien initial et les influences locales. Ainsi, le culte de notre divinité est multiple et possède de nombreuses facettes. Peut-être serait-il alors justifié de parler "des" cultes "des Astarté" en Méditerranée.

L’expansion des Phéniciens en Méditerranée jusqu’aux Colonnes d’Hercule Négociants et marins, les Phéniciens fondèrent de bonne heure, hors de leur patrie, des comptoirs nombreux, où ils troquaient les produits miniers indigènes contre les objets de leur fabrication. Ces comptoirs, d’abord de simples points d’escale pourvus de magasins et plus ou moins fortifiés, donnèrent souvent naissance à des villes, à d’authentiques colonies accueillant des contingents importants d’émigrants que la Phénicie surpeuplée avait avantage à voir s’établir outremer.

De Tyr (en Phénicie) à Kition (à Chypre), la distance est d’environ 200 kilomètres. Ainsi, les Phéniciens rêvèrent de faire de Chypre, au sein de la mer, une seconde Phénicie, plus riche et plus généreuse que leur terre natale. Les IXe et VIIIe siècles furent sans doute la période la plus prospère pour la colonisation phénicienne de Chypre et Kition fut alors le centre le plus important de l’île.

Dans la progression vers l’Occident, la Sicile était une position clef. Dans la corne sud-est de l’île, apparaît l’empreinte assez nette d’une influence phénicienne reconnaissable dans les vases, les rasoirs ou encore les haches. On date ces traces, de façon imprécise, du XIe ou Xe siècle.

Sur cette route maritime suivie par les Phéniciens, la Sardaigne constitue une étape permettant d’atteindre l’escale suivante, l’Espagne, où les Phéniciens fondèrent des villes telles que Cadix, l’ancienne Gadès, sur la côte atlantique du pays dès le XIe siècle. Le fait est que l’influence phénicienne s’est fait sentir en Bétique loin à l’intérieur des terres, jusqu’aux limites de l’actuelle province de Séville. Les nombreux comptoirs phéniciens établis en Andalousie sont les derniers relais avant de franchir les Colonnes d’Hercule et de mettre le cap soit vers les côtes atlantiques du Maroc, soit vers la Cornouaille. Sur la route du retour, les Phéniciens longeaient la côte nord-africaine. Ainsi, vers le Xe siècle, fut créée Utique, dans l’actuelle Tunisie, la seule escale avant de parvenir à Carthage dont la fondation remonte selon la tradition à 814 avant J.C.

Cette dernière connaît un essor formidable qui retentit dans toute la Méditerranée. En effet, Carthage devient comme une nouvelle Tyr, créatrice d’un vaste empire maritime et commercial dans la Méditerranée occidentale, rivalisant en puissance et en gloire avec Tyr, l’antique métropole. C’est seulement au IIIe siècle avant J.C. que la force de Rome commença à faire obstacle au développement de l’empire punique et à menacer la puissance de Carthage.

Retracer l’expansion des Phéniciens en Méditerranée était fondamental pour comprendre comment la Déesse phénicienne Astarté a pu, à travers ce périple, s’implanter dans les civilisations dont la culture était sous influence sémitique. Les colonies fondées par Tyr ont été imprégnées par la culture phénicienne, par ses coutumes, mais aussi par sa religion. Ceci ouvre grand la porte à Astarté qui s'établit dans ces cités.

Audrey Boitte.

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